Itinéraires
I
A Suzanne Campbell-Jones
Passées les terres gastes, c’est l’aube
Barrée de l’eau-forte des sauges.
Chaque semaine et non pas chaque jour
Je fais surface au malheur.
Ses vagues s’épuisent à la courbe des dimanches.
Odeurs d’une nouvelle ville encore,
La mort dans l’incisure des platanes.
Je fouille d’autres étés sans écho :
Les visages empruntent aux visages.
Mais la musique est restée fidèle à son vertige :
Orgue de cinéma déhanché, enrouement de saxophone.
Londres. La ville est une immense brûlerie
Dont seuls les murs restent debout.
II
A Pierre Clerc
Il venait des terrains vagues de la longue absence
Où rien ne poussait que l’ortie et le fer.
Et c’était en décembre. Et l anuit fermentait
Dans les soutes.
Et l’âme titubait.
Le sang dans sa course certaine disait le temps.
Mais quand la nuit changeait de régime
Aucun battement de cil dans le ciel
N’annonçait l’aurore aux vigies
Et les hautes herbes se taisaient.
La mort visitait.
Il habite la nuit. Il est habité par la nuit
Et sa main aveugle écrase la plus pure forme
Ailleurs, la rose des sables éclate dans la lumière.
III
Pour Valérie
L’odeur du vent dans une chambre haute
L’odeur de la paille sèche en été
Le navire illuminé glissant vers l’estuaire
Tout ce qui repousse la mort enfin,
Tout te sera offert
La nuit sera légère sur les bergeries
A l’heure de ton choix,
Le chemin de halage se perdra dans les bois.
Tes pas d’eux-mêmes trouveront leur rivage
Aux contrées du non-mourir.
Plutôt la grisaille fraternelle réservée par les hêtres
Aux terres que tu aimais,
Que la lumière coulée aux secrets du vitrail,
Pour s’armer contre demain.
Plutôt même les pluvieux paysages du doute.
IV
à Anita Bachmann
Vers où tend toute mort, rives
Découvertes parmi les joncs de l’aube,
Quand aborderons-nous à la haute dynastie des falaises ?
Jour après jour notre domaine s’épuise
Et toute liturgie est reconnue comme fable.
Même le silence est pris les armes à la main.
La distance est trop courte de la terre à la nuit
Et trop bref le jour entre les cils du sommeil.
Pour résister,
Une seule fois avons-nous sacrifié
Au mensonge incontradictible
Net comme le fer de l’été.
Depuis nous survivons, nous survivons.
V
Pour la nuit,
Les rumeurs que tu traques, les rumeurs sur tes pas,
N’ont pas d’importance.
La nuit t’apprivoise.
Elle investit tes silences les plus dangereux.
Tu t’étourdiras de lumières,
Puis à trois heures du matin,
Tu sentiras brusquement vieillir ton cœur.
Ton château englouti s’éteindra brusquement dans l’eau noire.
Il est que nul pas
Ne s’accordera plus au tien.
Il te faudra marcher, marcher encore,
Les yeux embarrassés d’herbes.