Le tombeau d’Agamemnon
A la mémoire de Gustav Regler
Ni la fin de la nuit ni la verticale retrouvée
Sous l’averse des jours
Ne purent vaincre le vertige
Ni ce mouvement d’îles chavirant dans l’aube
La parole éteinte ta saison en mystérieux sursis
Alors que les hautes fleurs de la mort se dépliaient
Il fallut refuser l’ange noir et ses paysages inverses
Lutter contre la ville noire où novembre avait planté sa croix
Alors que sur l’aire dévastée de ton exil toute fuite devenait dérisoire
Alors te fut donnée la réalité de Mycènes
Océan suranné puis soleil blanc
sur la route de Mycènes
Quand les trirèmes de la musique doublaient le promontoire
Pour apprivoiser la mort niveleuse et son silence obscur
Pris éternellement au piège de nos quatre bras
Va étranger sur la route de Mycènes
Et ne refuse pas d’entendre la voix d’Agamemnon
Quand l’ordonnance de l’hiver aiguise les jachères bouleversées
Et la lumière élève la lumière.
(Vestiges purs musique du temps sur la harpe des collines
Pierres plongeant vers le secret premier
Arbres se mêlant de nouveau à la pierre)
Les vagues de lumière infiniment y ourlent
(Cri de la pierre affleurant qui refuse sa gangue
Trille s’éteignant dans la gorge de l’oiseau
Ô fleur éternellement repliée de la lumière)
L’instant s’oriente dans le temps apaisé
Premiers bruits du jour parmi les seigles
Ô mort de la mort
Pour éternellement battre l’or clair de nos rivages
Chaque signe perdu est un monde oublié
Là où le feu de l’homme a jailli dans la pierre
La pierre ne sera jamais plus sans visage
Pour éternellement remettre en question la mort niveleuse
Va étranger sur la route de Mycènes
Parmi les seigles sauvages et les pierres éclatées
Le temps qui n’est plus temps te prendra par la main
L’olivier taciturne dira ton aventure
Qui est l’exil du monde
Le jour lové voyage en l’ellipse du jour
La mer nocturne bat contre la parole éteinte
Contre les promontoires de la parole
Ces vestiges blanchis de temps blanchis de vent
S’ordonnent dans le lieu de mémoire
S’inscrivent contre la mort nocturne
Ô Grèce épure tracée sur le ciel allégé
Geste pur arrêté parmi les tombes
Grèce disais-tu fut le nom de notre absence
L’ortie n’a pas poussé dedans cette absence
Et le ciel voyageur qui nie toute absence
Cependant étranger que la petite musique de ta vie se défait
Que tes pas deviennent plus lourds sur la terre abrasée
La rumeur océane emplit la vastitude de ce ciel
Pesant à peine sur les gisants millénaires plus vivants que les vivants
Sur les rochers où cassent les javelots minces de la lumière
Et sur ce promontoire lavé de jeunesse
Eternellement
Tu abordes de nouveau à la réalité perdue
Tu consens Il suffit pour que s’éteigne toutes clameurs
Et que la mort te soit vassale dans le temps éternel
Voici qu’aborde le vaisseau triomphal du jour
Les tombeaux dans la lumière déchirée ont aboli la mort
(1965)