Les quatre éléments
A Lawrence Durrell
I
Dure. Et qui mousse au cou de ce rivage,
La salve allumée entraîne l’espèce.
Le soleil brûlant au cœur des fétiches
Calquera au ciel le temps du mirage.
Le premier veilleur célèbre la messe
Du matin dansant dessus les naufrages ;
Les vents, tous les vents à l’horizon paissent
Comme des troupeaux fugitifs de biches.
Des fleurs fusent de la bouche des morts
Et la mer s’emplit d’une ancienne absence.
Des pôles, un piège s’ouvre à l’aurore
Et l’instant meurt de son incandescence.
Tisonnant les toisons quel bras de feu
D’un monde noir désommeille le sang ?
Le jour appareille au plus loin des yeux,
L’écho de ma voix attendra mille ans.
II
Parfois le vent, un grand bruissement vert
S’allume et revêt des couleurs trouées.
Il n’est pas jusqu’aux sables du désert
Qui ne s’assoiffent des veines nouées.
Tard dévolue aux forêts en rumeurs
Une raison trouble essouffle la joie.
Nous n’irons pas loin si le vent ne meurt ;
Pourrira le fruit sous l’arbre qui ploie.
Que Septembre encor marche dans les vignes
Et qu’un chiffre dans le nombre s’aligne,
Les mots désappris reviennent d’exil
Curieux et pensifs comme des Rois Mages.
Des soleils fléchés vont brûler les cils
De ceux qui n’auront cru en la lumière.
Une barque un jour aborde au rivage
Et musique l’orgue au cœur de la pierre.
III
L’océan jappe où les genêts fleurirent
Et s’exclame l’étrave en pleurs et rires.
D’un paysage ancien brouillé de pluie,
L’écho s’élance et harpe le silence.
Sur les plaines d’eau, beau visage en errance,
Le soir crayonne mon amour de suie.
Pour dormir la mouette a besoin de l’orage :
Mon amour a trouvé son paysage.
Nos armadas chavirent de haut-mal.
Un seul navire à l’ancre justifie
Le soleil, l’éclat de rire ancestral ;
Le ciel titube encore et mystifie
Des visages d’écume au regard mort.
Les terrains vagues de la mer résistent
A toute espérance et à tout remords :
J’ai naufragé mon cœur en des jeux tristes.
IV
Non plus la mort, la zone de sommeil
Qu’un rêve escarpé peuple et délivre,
Une piste d’ombre au bord du soleil,
Un feu mouvant que l’œil hésite à suivre.
Le vent de terre plainchante au sillage :
L’origine est ce récif que deux mers battent.
Tous les diamants de la mémoire éclatent
Et un cristal arpège aux coquillages.
Le jour a vécu dangereusement.
De ma plume germe un autre élément,
Mais je ne sais plus si c’est sur l’écume
Du langage que la flamme du sang
Jaillit ou au cœur des vergers d’écume.
L’envergure d’un mot fait éclater
Les parenthèses du monde et allume
Ce qu’il nous reste à nommer de clarté.
(1957)