Lieux-dits
à Paul Rasse
I
Octobre derrière l’écume grise de la fenêtre dit cinq heures du soir. Dans le salon, sous le lustre encore éteint, les ondes s’élargissent du silence. L’instant est comme une orante. La rue s’apaise. Une seule bourrasque a ruiné les branches d’automne. Les feuilles lourdes de leur propre mort, dans le crépuscule mouillé de l’avenue Mozart, s’agglutinent au trottoir que balayent les stries sanglantes des enseignes lumineuses…
II
Sur la route entre Thiers te La Chaise-Dieu, les sapins et les mélèzes pied dans la neige, tremblotants, étonnés dans la lumière des phares, comme des bêtes remuantes, réveillées dans la bergerie trop longtemps avant l’aube…
III
Dans le sommeil léger de l’aube, je découvre les cités de la plaine… Une voix bourdonnante comme celle du muezzin qui me réveillait à Dar-Es-Salaam change soudain de registre et crie : « Les sassanides, les Sassanides sont là ! »
IV
Crève-Cœur lui est inchangeable. La maison basse, le verger, la pelouse de guingois sont en sursis. Demain, cette vielle terre volcanique va reprendre ses droits et, après le passage de l’homme, se remettre à dialoguer avec le vent, le ciel impassible qui pèse sur la mer Indienne.
V
L’orage chevauchait Paris la cavale.
Personne ne savait où il serait désarçonné.
Le rodéo de l’automne célébrait la glorieuse agonie de la fôret.
(Ô buccins de la mort)
Octobre remontait le fleuve.
VI
D’ici (Crève-Cœur en île Maurice) le lac de la Nicolière est comme un œil d’ardoise qu’ombrent les cils des songes, cette espèce de nymphéas d’un vert cuivré. Des femmes s’affairent qui les cueillent, car les songes ici sont comestibles…
VII
Ulysse dans tes voyages…
L’écume
La lassitude insistante
des vagues
Et enfin les voilures
de la terre
Plus heureuse
l’ombre
qui parcourt
inlassablement
l’espace
du cadran solaire
VIII
Cornouailles. Pays du West Penwyth écrasé par l’été. Nous minuscules pénétrant dans l’été. Et déjà la virgule noire de la mort sur la page vibrante du jour.
IX
Mais à Bruges, les cloches disaient la mort des pierres et la mort dans le vent bisecteur.
X
Saint-Venant. C’est une question de nombre. Mille morts : la défaite. La victoire : cinq mille qui s’échappent.
Le monde n’est pas fou parce que les hôpitaux psychiatriques sont remplis d’absence, de résignation et de la douleur qui n’a plus de larmes.
Des millions de survivants croisent dans la lumière au-delà des barreaux.
Il ne suffit pas d’un seul pour obscurcir le soleil.