Lieux-dits ; lieux-communs ; non-lieux
1 Roubignac
Le loup tournera-t-il encore dans la grange d’octobre ?
Maintenant, c’est ici, sur cette combe du Sud
Où le vin rougit dans la vigne encore roide
Ici, c’est maintenant dans la chapelle romane
Désaffectée, venteuse en l’été finissant.
Annonciateur, dévastateur
De la durée vacante, dans la durée vacante.
2 Octon (A Brigitte et Jacques Temple)
Euphorbes, asclépiades à l’aigrette plumeuse, cytises.
Souffle épineux
du romarin ; touffes bosselées mauve clair des thyms d’avril
à Octon
réservant entre elles des trouées d’ombre où parfois luit crayeux et
blanchi comme un os un étron de chien. Campagne minérale d’autre
côté de la faille par-delà cette brèche rouge du torrent asséché…
3 Quai de Bourbon
La peau du fleuve frémit à peine sous le coup d’ongle rapide du vent.
Depuis l’autre rive, un rire (un cri ?) de femme : seule transparence
dans l’opacité de la nuit de juillet
4 Baie de Msasani (Tanzani)
Depuis cet off-shore du temps, perdu comme en vastitude océane,
retrouver l’île couchée au fond de l’île : le labeur du corail, l’interrogation de la lumière et le chant alluvial que je ne nommerai
plus exil
5 Le bleu, poisson volant dans le poudroiement lumineux de
l’été. Loin,
Mais s’enroulant dans la spirale pour revenir
Ici.
6 Georgetown (D.C.) (songeant à une peinture d’Andrew Wyeth)
Le regard du matin au ras de l’herbe, ocellé, rassemblant l’odeur et la couleur, le loriot et le criquet, la braise éteinte d’hier, la musique de Schubert moribond – et ma vie en larmes…
7 Avenue Mozart
Il suffit d’une unique rose dans le vase fuselé en verre de Bohême pour
allumer cette pièce, attendrir la lumière sur le bois vieilli du secrétaire,
induire je ne sais quel ordre calme, installer je ne sais quel bonheur tranquille.
Voyager ici !
8 Paris-Unheimlich (à Serge Sabinus)
Familier et terrible comme le nez au milieu de la figure
Comme le métro gris et ses fantômes gris à onze heures du soir
dans Paris capitale
Terrible et familier comme lundi titubant au bord de la semaine…
Majuscules des mots soudain désappris au fronton des choses :
Tout est autre
Tout est neuf
Ah ! être cet autre
Sortir avec lui par la porte aveugle du mur
Rentrer par le tain du miroir
Opaque et transparent.
9 Mouette gardienne de ses propres gestes
Traverseuse d’espace aboli
Qu’hier j’appelais « désir »
10 Salagou (à Katioucha Pillet)
Deux vases sigillés parmi les éclats ocre dans la terre soulevée et un glaive brisé restitués par le tènement antique évoquent ici une geste bimillénaire. Aujourd’hui l’eau du barrage menace les vestiges et les genêts d’Espagne flottent comme des jacinthes d’eau ou des algues carnivores.
La vieille tour de Roques que j’explorais naguère sur la butte à l’écart de la route de Celles et les menuiseries de la ruffe ont été arasées et l’eau tourbillonne profonde de dix brasses. Je marche sans mémoire dans la lumière mouvante. Mes paysages se contredisent. J’aurai appris à vivre ici comme si mes racines avaient voyagé jusqu’à cette terre ingrate, cette rocaille rouge, Ainsi les saxifrages…
11 Janvier en Vaucluse
La terre ocre immobile sous la course du nuage. Au fond, la pierraille
blanche et les parasols touchés de soleil vert. C’est janvier en Vaucluse.
L’hiver au cœur serré retient son souffle. Une buse posée sur une haie
qui nous sépare du remblai de l’autoroute regarde les planeurs escalader
les hauteurs lumineuses du ciel.
Cette terrible envie de vivre soudain ! C’est la même force qui déverrouillera dans deux mois l’écorce noire, les nouures prisonnières.
12 Collioure (à la mémoire de Valérie de Carpelan)
Celle qui,
Celle qui vient marchant sous la lumière verte du phare,
Dispersant le sable nocturne ;
Celle qui,
Celle qui, voix perdue, voix ancienne,
Se fond dans la voix
Toujours renouvelée de la mer battant cette crique catalane,
Y a inscrit son rire et ses basses harmoniques…